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L’Europe face au risque de découplage économique et politique

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03.18.2022

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« La guerre en Europe n’appartient plus à nos livres d’Histoire ou à nos livres d’école, elle est là, sous nos yeux » – Emmanuel Macron

La sidération que suscite la guerre en Ukraine montre la désillusion des Européens dont le projet avait pour but, si ce n’est la réconciliation, la coexistence de grandes puissances en son sein. La logique économique d’intégration et d’interdépendance devait s’imposer naturellement sur l’ensemble du continent, puisque tous les acteurs devaient bénéficier de ses dividendes. S’opposer à l’ordre européen exigerait de renoncer à ces mêmes dividendes, ce qui constituerait un non-sens, tant sur le plan politique qu’économique.

Une nouvelle logique mondiale…

Cette logique économique d’intégration et d’interdépendance caractérisait autrefois l’ordre européen — et même, dans une large mesure, la mondialisation. Désormais, elle semble progressivement supplantée par une nouvelle logique de nature politique, celle de résilience, d’autonomie et d’indépendance.

Les Etats-Unis ne semblent plus croire aux effets bénéfiques de la mondialisation : dans la droite lignée de son prédécesseur, le président américain Joe Biden continue de décrire la mondialisation comme un jeu à somme nulle dont son pays est trop souvent victime. De même, la Chine, qui misait autrefois sur son intégration à l’économie mondiale pour garantir des débouchés pour ses exportations, tente de s’affranchir des contraintes mondiales par une stratégie de « double circulation » qui privilégie une croissance tirée par la consommation intérieure.

Pékin et Washington organisent ainsi leur divorce en dissociant leurs chaines de production et en faisant le choix de technologies et de normes de plus en plus différentes — mettant ainsi à mal cette logique historique d’interdépendance et d’intégration. Bien que probablement couteux dans les faits, ce scénario de découplage qu’un récent livre blanc s’est attaché à décrire pourrait s’avérer politiquement efficace face à une opinion publique dont le sentiment d’ambivalence vis-à-vis de la mondialisation et du libre-échange a contribué à des bouleversements majeurs comme l’élection de Donald Trump ou la crise des gilets jaunes en France.

… qui s’impose en Europe aussi.

Avec le conflit en Ukraine, l’Europe, là où des normes politiques et économiques jugées autrefois incontestables ne semblent plus faire consensus, n’échappera d’ailleurs pas à la même tendance.

Déjà en 2019, en déclarant que l’OTAN était en état de mort cérébrale, le président Macron suggérait que l’idée d’Occident n’avait plus de sens. Autrefois garant en dernier ressort de la stabilité et de la sécurité de l’ordre international, l’Occident échouait à s’inventer une nouvelle cohérence, une nouvelle raison d’être. D’où l’importance, aux yeux du président français, de la souveraineté et de l’autonomie stratégique européenne : une Europe capable de défendre ses intérêts dans des domaines aussi variés que la sécurité, les données personnelles, l’intelligence artificielle, l’environnement, l’industrie et le commerce deviendrait une entité politique autonome, immunisée contre les sauts d’humeur et les revirements stratégiques des autres puissances internationales.

Dans son allocution à la nation du 2 mars, Emmanuel Macron a étayé cette approche en appelant l’Europe à prendre des décisions « historiques » tout en reconnaissant qu’elles s’avèreront coûteuses justement, puisque la « paix », la « liberté » et la « démocratie » ont un prix que nous devons accepter de payer. L’autonomie stratégique de l’Europe ne se définit pas en termes militaires exclusivement, puisque son objectif doit être de ne plus dépendre des autres sur le plan économique, alimentaire et énergétique. En effet, l’Europe se doit de devenir « une puissance plus indépendante, plus souveraine » selon les termes du président.

L’avenir d’un idéal

Ainsi, le remarquable degré de synchronisation des réactions et des sanctions entre Américains et Européens ne doit pas masquer le fait que l’unité d’analyse se situerait bel et bien au niveau de l’Europe et non au niveau mondial ou même transatlantique. La très forte cohésion dans les rangs de l’OTAN, et le fait que des pays comme la Finlande et la Suède qui ont fait le choix historique de rester hors de l’organisation puissent concevoir de revenir sur cette décision, pourraient ne pas suffire à dissoudre la méfiance que des années de sous-investissements européens en matière de défense et un mandat de Donald Trump ont nourri.

Cette quête d’indépendance aurait relevé autrefois de l’hérésie économique mais s’impose de manière quasi-naturelle sur le plan politique aujourd’hui. On peut cependant être surpris par la facilité avec lequel le coût qu’elle implique et que le président Macron reconnait ouvertement s’impose. Ce coût, qui touchera en premier lieu les consommateurs et les entreprises européennes, semble faire sens politiquement dans l’esprit de l’exécutif, malgré un mandat chahuté notamment par la crise des Gilets Jaunes. Emmanuel Macron fait le pari que les décisions historiques qu’il invite ses partenaires européens à prendre redonnera à l’Union la cohérence et la vision politique dont elle manque cruellement dans un monde en découplage.

Jeremy Ghez

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