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Vision vs Stratégie, par Daniel Haumont

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Stratégie de l'Entreprise - Corporate strategy

09.07.2017

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VISION vs STRATEGIE

Vision => Stratégie => Mise en œuvre

Cherchez le mot VISION sur Internet, vous le verrez associé à toutes sortes d’autres mots tels que Stratégie, Marketing, Mission, Plan, Objectifs, Tactique, Valeurs ... Vous ne serez pas plus avancé car le mot Vision est galvaudé, comme le mot stratégie.

Dans l’idée de Vision, il y a le caractère qui doit être disruptif par rapport à ce qui se faisait jusqu’alors. D’où la question :

Une Idée originale est-elle une Vision ?

L’économie de partage a été permise par Internet grâce aux transferts à haute vitesse rendus possibles depuis quelques années, qui offrent de nouvelles possibilités de mise en œuvre d’idées originales.

La facilité à entrer en contact sur une plateforme pour partager ou commercer est une réalité. La création de la plateforme (l’entreprise elle-même) est-elle le résultat d’une Vision ou simplement d’une idée concrétisée informatiquement ?

Le caractère disruptif de l’économie de partage

L’économie de partage, en elle-même, n’est pas du ressort de la Vision pour une entreprise. C’est la conséquence d’une évolution technologique (Internet, vitesse et possibilité de streaming) qui a ensuite donné des idées de création d’entreprises dans différents domaines, les startups. Ces créations peuvent s’appuyer sur une vision, (dématérialisation de la musique pour Apple Music qui n’était cependant pas une startup, mais un nouveau domaine d’activité stratégique d’Apple) ... mais pas nécessairement, et pas souvent.

Les start-up des récentes années, encore d’aujourd’hui, et probablement de demain, sont fondées sur des bases opportunistes (une idée). Il est très rare que derrière il y ait une Vision au sens de perspective pouvant conduire à une stratégie construite. Facebook, Airbnb, Uber ont-ils été l’œuvre de visionnaires, ou plus simplement, sont-ils le résultat d’une bonne idée dont la mise en œuvre a été facilitée par une technologie déjà opérationnelle et un management efficace permettant de disposer de financements importants ? La stratégie de développement, qui va permettre la création de richesse, vient après la mise en œuvre initiale. Mark Zuckerberg a créé en 2004 l’ancêtre « thefacebook » pour répertorier ses camarades d’université, sans la vision de ce que pourrait devenir Facebook et ses 2 mds de clients en 2017.

L’Entreprise existante ou à naître, vit dans un certain environnement. Environnement doit être regardé à différentes échelles. Il y a l’environnement au sens des 5 forces de Porter : concurrents, nouveaux entrants, clients, fournisseurs, produits de substitution et la 6ème, le rôle des régulations. Mais cet aspect Porterien baigne dans un contexte plus large : celui de l’évolution des technologies résultant de découvertes surtout scientifiques. L’écosystème dans lequel évolue l’entreprise conduit à perpétuer le mode de fonctionnement avec quelques adaptations plus ou moins marginales, mais sans que l’idée de rupture apparaisse.

Une Vision permet de formaliser un futur, pas forcément proche, de l’entreprise. C’est une projection à long terme de ce que sera l’avenir de l’entreprise existante ou à créer ; la Vision s’appuie sur l’interprétation de l’avenir d’un Secteur qui peut-être n’existe pas encore.

La Vision est une finalité, c’est-à-dire une ambition pour le futur d’une entreprise.

Il existe plusieurs types de Visions : la Vision s’appuyant sur les sciences (Edison) ; la Vision s’appuyant sur l’efficacité des processus (Ford), la Vision qu’on peut qualifier

de marketing fondée sur la conception de produits originaux qui trouveront vite un marché lucratif (Steve Jobs), la Vision pour changer le mode distribution de produits, en facilitant cette mise à disposition pour le public (Netflix - Amazon).

Les grandes explorations des 15ème et 16ème siècles ont changé la perception du monde et permis à des Visionnaires de construire des stratégies fondées sur le commerce (Compagnie de Indes), malheureusement même le commerce des humains. La Vision, portugaise, puis espagnole, était l’extension d’un monde devenu accessible. Le commerce de l’or et de l’argent les a enrichis, mais derrière, il n’y avait pas de vraie stratégie et la décadence de ces pays a suivi. D’autres pays et d’autres hommes ont su bâtir des stratégies à partir de ces découvertes (Angleterre, France, Pays- Bas) avec des réussites diverses.

Au 19ème siècle le chemin de fer fut induit par la machine à vapeur ; il a fait changer d’échelle chaque pays et même chaque continent. A l’origine, à la fin du 18ème siècle, Watt et Bulton ont conçu des machines créatrices d’énergie cinétique à partir d’un combustible tel que le charbon ; on était dans le domaine de la recherche pure sans Vision. Stephenson 25 ans plus tard, dès le début du 19ème siècle, a eu la Vision d’une application : le chemin de fer ; pour cela, il concevra et fera construire des locomotives qui transformeront l’énergie potentielle du charbon en mouvement sur des rails. Pourquoi le chemin de fer et pas l’automobile à vapeur ? Le rail permet de rouler vite en transportant un grand nombre de passagers ; la route au 19ème siècle est chaotique.

Faraday au 19ème siècle a découvert l’électromagnétisme (l’électricité et le magnétisme sont de même nature). Maxwell par ses fameuses équations a su en faire la synthèse. On était dans le domaine de la recherche pure, sans Vision. Les Visionnaires arriveront un peu plus tard, transformant l’expérience scientifique en stratégies pour différentes entreprises : Thomas Edison (General Electric), Graham Bell, Marconi ...

Edison, n’est ni le seul, ni le premier à avoir eu l’idée d’utiliser un filament pour l’éclairage (l’ampouleà incandescence), mais il est celui qui a su franchir les 3 obstacles : Vision, Stratégie, Mise en œuvrede la stratégie pour atteindre son objectif : « Je vais rendre l'électricité si bon marché que seuls lesriches pourront se payer le luxe d'utiliser des bougies ». Un Visionnaire comme Edison peut avoir des faiblesses : il a inventé la lampe de radio ... mais ne croit pas à la radiodiffusion donc à une nouvelle technologie : l’électronique. Edison avait aussi un principe de stratégie : « Ne jamais inventer quelque chose dont les gens ne veulent pas ». Il inventera le phonographe et le film 35mm, mais ne les mettra pas en œuvre.

Henry Ford n’a pas inventé l’automobile et il était déjà un constructeur établi lorsqu’il a conçu autour de la Ford T les processus qui permettraient d’en diminuer considérablement le coût de fabrication.La Vision de Ford était fondée sur un constat : Une voiture coûte trop cher à fabriquer et peu de gens peuvent s’en offrir une ; le marché est étroit. Henry Ford instaure une nouvelle méthode de travail: le montage à la chaîne. Grâce à cette innovation, le temps de construction de la Ford "T" est considérablement réduit : il passe de 6 heures à 1h30. La productivité de l'usine est multipliée par 4. L'ouvrier est désormais statique et assemble les pièces qui défilent devant lui, le Fordisme est né.

Steve Jobs a créé Apple en 1976 ; la première Vision Apple, qui sera suivie de plusieurs autres, a vu le jour au début des années 1980. Le Macintosh est sorti d’un constat : le système d’exploitation utilisé sur les PC, MS DOS, est difficile à utiliser par des gens sans expérience de l’informatique. La Vision de Jobs : remplacer pour s’orienter dans le système d’exploitation du micro-ordinateur les instructions absconses du MS DOS par des images : les fameuses icônes. La réussite technique ne fut pas une réussite commerciale et Jobs a été contraint en 1988 de quitter la société qu’il avait créée. Mais l’avenir a montré que la Vision de Jobs était la bonne.

L’iPod, la tablette, l’iPhone ont été le résultat d’autres Visions de Steve Jobs après son retour à la tête d’Apple en 1997. Entre temps, quand Jobs avait été évincé de la société, le Newton, ancêtre de la tablette, a été un échec. Jobs fut un Visionnaire récidiviste.

Jeff Bezos a eu la Vision de la révolution des modes de consommation en 1995 avec l’avènement d’Internet à une échelle suffisante pour offrir un potentiel d’utilisateurs du commerce en ligne. Ainsi naquit Amazon : une librairie en ligne avec des millions de titres. Plus tard, l’extension d’Amazon au commerce en ligne pour toutes sortes de produits ressort du domaine de la stratégie de l’entreprise, pas d’une Vision.

Il fut aussi un Visionnaire pour les services s’appuyant sur le Cloud ; segment le plus rentable d’Amazon en 2016.

Netflix : Reed Hastings eut une première vision – abonnement - pour la création de Netflix en 1997 s’appuyant sur une procédure postale simple pour livrer des DVD de films. En 2007, arrive l’offre VoD en streaming. Ce n’est pas une nouvelle vision, mais plutôt une opportunité technologique offerte à un stratège. Le succès est là : 104 millions d’abonnés en 2017 avec la mise en œuvre d’une stratégie de développement mondial. La vision actuelle de Netflix, au-delà de la distribution VoD, consiste à investir dans la Production de séries, concurrençant HBO (changement de modèle de chaîne de valeur en intégrant la production à la distribution). Par ailleurs, le streaming permet de contourner les puissants câblo-opérateurs américains mettant en danger leur avantageuse situation présente. Il faut toutefois noter que ceux-ci restent très chers en bourse et sont courtisés pour leurs infrastructures.

Elon Musk a eu des visions dans plusieurs domaines : les moyens de paiement (PayPal), les fusées (SpaceX – vision du style Ford), l’automobile électrique (Tesla – vision pure de l’avenir de l’automobile), l’accès simplifié à l’électricité d’origine photo électrique (SolarCity).

Walt Disney est le prototype du visionnaire. Il eut 2 visions qu’il a mise œuvre: la création de dessins animés dans les années 20, et celle des parcs à thème autour des personnages qu’il avait créés, avec la première ouverture en 1955.

LEGO, au début du 21ème siècle, était en mauvaise posture ; une redéfinition de la stratégie grâce à un leader visionnaire a su remettre la société sur de bons rails pour atteindre le profit extraordinaire de 2016 (bénéfice égal à un quart du chiffre d’affaires). C’est l’utilisation des briques tous azimuts qui a fait le succès planétaire de Lego (multiples distributeurs, boutiques en propre, parcs, alliance avec Hollywood). Peut-on parler de Vision ?

Avoir une Vision trop tôt

L’absence de Vision conduit plus ou moins rapidement à la décadence et même à la disparition d’une entreprise autrefois glorieuse. Les deux exemples qui suivent concernent des entreprises visionnaires à une époque, qui par la suite ont perdu leur capacité de vision.

Kodak, leader mondial de la photographie en 1980 avait dans ses brevets la photographie numérique. Mais, sa poule aux œufs d’or, la photo argentique, rapportait énormément ... trop. D’autres ont vu l’opportunité offerte par la photo numérique, et les parts de marché de Kodak se sont effondrées. Le Conseil d’Administration pusillanime de Kodak a conduit l’entreprise au bord du gouffre par « refus de Vision ». En 2017 Kodak ne vaut même pas en Bourse le millième d’Apple.

Nokia eut une Vision en 1992 : le développement de la téléphonie GSM qui conduisit l’entreprise à devenir le large leader mondial des téléphones mobiles des années 2000. En 2005, Nokia valait en Bourse 270 milliards de dollars, une des plus grosses capitalisations boursières de l’époque. Le manque d’innovation, donc de Vision, conduisit Nokia à perdre l’essentiel de sa part de marché dans les téléphones mobiles. La Division « mobiles » fut vendue à Microsoft 7,2 mds. Nokia existe toujours pour d’autres segments que le téléphone mobile, mais ne vaut que 34 mds. Nokia a acquis Alcatel- Lucent.

Jean-Marie Messier, Visionnaire incompris à la tête de Vivendi dans les années 2000 ? Pour lui contenus et contenants doivent aller ensemble. Sa conclusion : « Ma Vision était juste. Mais avoir raison trop tôt, ça peut aussi vouloir dire avoir tort ».

Watson (IBM) eut dans les années 1950’s la Vision de l’ordinateur professionnel avant tout le
monde ; il s’ensuivit une réussite exceptionnelle pour IBM avec, lorsque l’ordinateur est entré dans toutes les grandes entreprises, un quasi-monopole très rentable. Mais l’informatique répartie et individuelle (les PC) mit en grande difficulté, à la fin des années 1980’s, le modèle IBM d’informatique centralisée et coûteuse. Il fallait une autre stratégie ... à défaut d’une nouvelle Vision.

En 1993, sous l’influence d’un homme, Lou Gerstner, IBM s’orienta avec succès, vers les services : changement de stratégie, mais était-ce vraiment une nouvelle Vision. 20 ans plus tard, IBM est à nouveau en difficulté ; sa valeur boursière s’effondre. Que faire ????

Vision : Construire une stratégie sur la base d’un changement à venir de la législation

Le Low Cost aérien : La déréglementation aérienne en 1978 aux Etats-Unis, puis à partir des années 80 en Europe a permis la création de nouvelles compagnies aériennes, en particulier les Low Cost telles que Ryanair et EasyJet qui, partant de rien (EasyJet) ou de peu (Ryanair) ont pu construire des Business Models compétitifs par rapport aux compagnies nationales qui avaient vécu dans le confort de régulations favorables à chacune. Il s’agit là d’une anticipation plus que d’une vision dans la mesure où la dérégulation était annoncée, mais il manquait les timings des différents pays européens.

Cas originaux

Le cas du Minitel (vision d’Etat)

Derrière le Minitel (technologie Vidéotex), il y avait une vraie Vision de l’Etat français au début des années 80 (Prestel en Grande-Bretagne). Mais l’avènement de l’accès facile à Internet dans la deuxième moitié des années 90 a rendu peu à peu obsolète la technologie du minitel.

Avoir une nouvelle Vision

ou plutôt adapter à temps sa stratégie

En 1998, France Télécom a réalisé environ un milliard d'euros de revenus grâce au Minitel. C’est par

les services (messageries instantanées, ou pas) que des gens comme Xavier Niel ont commencé à

populariser le Minitel (parfois « rose »). Vendre ou acheter des actions en Bourse par le minitel

fonctionnait bien.

La Vision procédait de l’Etat ; des entreprises privées ont construit autour des stratégies dans le style

start-up.

Vison sportive : Fosbury, (sauteur en hauteur) en 1968 eu la pure vision d’une autre façon

réglementaire de sauter en hauteur (sur le dos) qui lui permit de devenir champion olympique. Style

adopté par tous les sauteurs depuis.

Nespresso : vision en « intraprenariat »

Eric Favre était salarié de Nestlé quand il a eu la Vision de ce qui allait devenir Nespresso. Sa vision ne pouvait pas venir de l’intérieur de Nestlé car le Conseil d’Administration de la firme ne pouvait envisager le succès de ce nouveau domaine d’activité stratégique. Au prix de multiples difficultés et obstructions, il a quand même subtilement réussi à faire construire un prototype avec ses capsules par Nestlé. Nespresso était un embryon à ce stade. Une fois le concept adopté par Nestlé, qui visait dans un premier temps le monde professionnel qui fut un échec commercial, Nestlé a changé de stratégie et s’est concentré sur le grand public avec l’immense succès que l’on connait.

Vision ne doit pas être associé au mot Résultat ; Il ne faut pas attendre de la Vision fondée sur la science des résultats immédiats, ni même rapides. Ce serait contraire au concept. Ensuite, au-delà

Un Conseil d’Administration n’est pas visionnaire par nature car, comme son nom l’indique, il doit

d’abord administrer. Il doit aussi prendre des décisions stratégiques pour le développement de

l’entreprise. Il peut aussi décider de changer d’activité (Nokia, des forêts au téléphone). Peut-on

qualifier un changement d’activité radical de Vision ?

de la Vision, il restera à construire une stratégie afin de mettre en œuvre cette Vision. Le mot Vision doit plutôt être associé au mot Rupture. Le Visionnaire et l’implémenteur peuvent être, ou pas, la même personne. Le temps entre Vision et implémentation peut être très variable, conduire à des échecs suivis de réussites ou à un échec définitif (l’automobile à vapeur n’a jamais vraiment existé car le moteur thermique, plus simple et avec un bien meilleur rendement l’a rendu obsolète avant qu’il soit sur les routes).

99% des startups ne sont pas créées à partir d’une Vision ; certains créateurs de startups peuvent apparaitre, à postériori, comme des visionnaires, mais en étaient-ils au moment de la création de leur entreprise (Facebook) ?

Une VISION est un nouveau paradigme qui permettra ensuite de construire une STRATEGIE et de la mettre en œuvre. Le résultat d’une vision prendra souvent du temps. On peut aussi construire une stratégie de développement de l’entreprise sans avoir nécessairement une vision. 

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